Immersion glaçante dans l’étang de Gisèle Vienne

<strong>Immersion glaçante dans l’étang de Gisèle Vienne<strong>

Les murs s’ouvrent. Sur la scène immaculée, inondée de lumière blanche, les murs entiers s’ouvrent doucement, laissant passer une première silhouette, puis une seconde. Aucune ne se regarde. L’une (Ruth Vega Fernandez) arbore une perruque de jais et des vêtements acidulés. Elle dit, les yeux rivés sur un point imaginaire, les voix strictes des parents qui ne doutent pas, dont les paroles claquent calmement. L’autre (Adèle Haenel), porte une tenue de sport blanche, exhale les piaillements des enfants cruels ou victimes, dont Fritz. Rapidement, le martyre de ce dernier se fait entendre, lointain, comme une voix d’outre tombe sur la scène du Zef, om le festival Actoral a programmé la pièce.

La mise en scène de Gisèle Vienne, marionnettiste hors norme, transforme les deux actrices en ventriloques, se partageant les passages remaniés de L’Etang, de l’écrivain suisse Robert Walser. La bande sonore, lancinante, travaille à cette atmosphère aussi cotonneuse qu’un jour de brouillard. Tout autant que le lit défait, au pied duquel des vestiges de jeux et friandises entamés jonchent le sol, comme pièces à conviction de la fin des jeux insouciants. La beauté glaciale de ce décor immobile ne changera pas tout au long de la pièce. Gisèle Vienne emmène les spectateurs au coeur d’une scénographie de crime impeccable, qu’elle traite avec une précision chirurgicale. Son Neverland alémanique hante l’espace, transforme les adultes en créatures diaboliques alors que les enfants jouent mettre en scène leur propre mort.

Dans ce registre, Adèle Haenel joue toutes les fulgurances et toutes les pulsions, de vie et d’anéantissement. Elle se révèle magistrale dans la peau de Fritz, quand il se rend à l’étang afin de simuler son suicide afin de susciter l’empathie d’une mère glaciale. Ou lorsqu’elle l’incarne, lors d’un monologue extraordinaire, bouleversé par l’amour inconditionnel que la maman du voisin porte à son fils. Cheveux courts et regard avide, elle Adèle Haenel est toutes les voix, tous les enfants du village, toutes leurs malices inquiétantes. En contrepoint, Ruth Vega Fernandez avance par un savant jeu tout en retenue, mêlant ordres et susurrations. L’ensemble polyphonique traduit un vase clos incestuel, radioactif, où le pouvoir change de mains au plus près du précipice.

On ne sait si le jour se lève parfois sur cet étang trouble, mais les ténèbres y sont suffisamment épaisses pour projeter celui qui les regarde dans une dimension surnaturelle. Les sons et les lumières n’y sont pas pour rien, et permettent à Vienne de produire cette sidération aussi impalpable que spectrale, dont la nature impossible révulse et fascine.



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