Multiple-s compte juste

Multiple-s compte juste

 Contre le mur brut de la cour minérale de l’université d’Avignon, la nuit tombe sur un plateau éclairé par deux portant de néons. Dans Multiple-s, pièce de Salia Sanou très attendue au Festival d’Avignon, trois duos, ou face-à-face sont annoncés.

Enracinement dans la terre natale

C’est Germaine Acogny, chorégraphe sénégalaise, pionnière de la scène africaine, qui apparaît la première, seule, avec panache. Chacun de ses pas est déroulé, chaque geste suspendu, dans l’air du soir. Avec son disciple d’autrefois, Sanou, commence un duo unique, basé sur la mimesis et ses effets de vases communicants. Il est question de danses africaines, mais aussi de danse occidentale, dont l’académisme offre un contraste d’emblée.

Les menus mouvements, jeux de mains, entre les deux, font mouche, tant existe là grâce et partage. La doyenne réclame sa canne, s’en sert, tout en glissant littéralement au plateau tandis que Salia suit ses pas, avec élan. Leur duo fusionnel s’achève au coeur d’un cercle tournant sur lui-même, sorte de tour du temps passé à nouer indéfectiblement un enracinement dans la terre natale.

« Coupée en deux »

L’oscillement perpétuel entre le pays quitté et celui adopté est abordé par la parole de Nancy Huston, voyageuse basculant de l’anglais au français par le prisme d’une errance qu’elle incarne sur scène. Entre elle et Salia Sanou, le rapport est plus abrupt, presque défiant. Il l’observe à travers le portant, enfermé, jaugeant sa trajectoire d’un bout à l’autre de la scène.

Elle laisse tomber des feuilles à ramasser, suivie finalement par les majestueux mouvements de Sanou, qu’elle questionnera en anglais par un débit de phrases amorçant un dialogue de sourds, puisque son interlocuteur se met à parler dans sa propre langue. Le rythme s’intensifie lorsqu’elle se définie comme « coupée en deux », entre deux cultures, deux langues, deux territoires. Cette dualité, matrice de la pièce, teinte chaque geste et regard d’une mélancolie certaine, dont Germaine Acogny augurait dès le début du spectacle.

Semblables dans leur volonté de se retrouver dans l’autre

C’est donc la quête d’altérité qui amène le pianiste BabX, dériver un message plus consensuel, à l’écriture candide, moins prompte à l’éloquence. En parallèle, les notes enlevées forment une complicité sur le ton badin, dont la portée allègre permet une ouverture résolument résiliente.

L’on ne sait sur quel territoire les voici finalement à quatre, ensemble, mais c’est un ailleurs fantasmé, dont le jeu emporte tout. Les pas de deux entre BabX et Germaine Acogny, Salia Sanou et Nancy Huston, ne se ressemblent que dans le plaisir d’être là, à la fois incomparables dans leur style respectif et forcément semblables dans leur volonté de se retrouver dans l’autre.

 Multiple-s de Salia Sanou, jusqu’au 14 juillet, à la Cour minérale de l’université d’Avignon.



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