Evel Kneviel contre Macbeth, dystopie incandescente

Evel Kneviel contre Macbeth, dystopie incandescente

C’est loin du Parnasse contemporain de 4, création dont l’esthétique usait allègrement d’une plasticité impersonnelle, que Rodrigo Garcia a engendré Evel Kneviel contre Macbeth. C’est loin et intriguant, dès le début de la pièce qui commence par l’épilogue. Le choeur, viendra lui, sous une forme tropicale, bien plus tard.

Tragédie à la sauce vatapa

C’est d’abord l’entrée en scène de Neronga, créature de manga célèbre dans les années 60 , qui apparaît dans une vidéo d’animation, traversant une mégalopole déserte hérissée de buildings, façon Ravage de Barjavel. Le sublime des images géométriques créées pour la pièce et la mise en exergue du texte, résument rondement le conflit armé qui oppose les camps d’Evel Kneviel, motard cascadeur star des années 70 et d’Orson Welles, dont la santé mentale l’empêche de sortir de son rôle de Macbetch et qui s’est mis en tête de réduire en esclavage un quartier populaire de Salvador de Bahia. Le prologue/épilogue annonce que l’origine de la guerre proviendrait d’une querelle entre deux kiosques concurrents d’acajarès, où les deux grands noms préci-cités ont respectivement leurs habitudes. Le ton est donné. Les chapitres et bonus qui s’annoncent ne démériteront pas.

Neronga apparaît finalement au plateau, par le truchement d’un costume chatoyant tout en tissu et rondeur, endossée sur un jeune garçon qui manie à la fois les armes blanches et le xylophone. De l’action au lyrisme, la frontière est mince. En continu, l’utilisation subtile des effets de mapping et l’amplitude des basses electro, qui donnent une véritable profondeur à cette narration ironique et fantasque, qui va pousser à s’affronter deux coalitions jusqu’au K.O.

Rares sont les fois où Rodrigo Garcia a choisi de projeter à ce point ses textes sur grand écran. Ils apparaissent par salves de lettres, via ces projections vidéo qui semblent tout droit sortis de jeux télévisés. Son écriture est lue, au micro sur scène, silencieusement dans le public. Elle demeure lucide et terriblement ironique, tire toujours sur les petites compromissions des hommes et les grandes désillusions de personnalités à cours de créativité. Au plateau, Lysias ou Démosthène se « met à philosopher » en jogging et chaussures à plateformes. Les stars de la pop culture en prennent pour leur grade. Cette dramaturgie, redoutable, accouche de tirades où les noms du chef Jordi Roca et Philippe Starck, designer à tout faire, même les corbillards, catalysent à eux deux toutes les boursouflures des effets de mode contemporains. L’écriture de cette tragédie donnent de sacrées claques aux supposées élites, que Rodrigo Garcia tournent en dérision avec un panache certain.

Sa version du tragique invente ses propres topos et va crescendo dans l’exaltation. Ses personnages à démarche empêchée par l’attirail guerrier, sont galvanisés par l’écho de leurs propres mots et le goût de l’illusion, foncent vers des sommets de parade. Le carnaval a ceci de bon qu’il permet d’être autre, de se jouer de l’ordre social. Et les acteurs en usent dans ces valses d’identités.

La maison des illusions

Entre l’univers populo d’Evel Kneviel et les intentions belliqueuses du divin MacBeth/Orson Welles, l’alchimie prend comme un feu de la Saint Jean et produit une dystopie enchanteresse. Ce « théâtre dans le théâtre », de personnages qui se prennent allègrement pour d’autres et s’acoquinent avec l’illusion, émerge d’une écriture exigeante, rompue à la force d’une langue abrupte. Elle rappelle parfois celle de Genet, dans sa façon de renverser la hiérarchie et de faire exploser les symboles du pouvoir.

Similarité dans la jouissance qui émerge du chaos, qui se fiche allègrement des conventions et tics propres à la mise en scène théâtrale. Tout est faux. Tout le monde se déguise. Les accoutrements sont enlevés sous les yeux du public, pour passer d’un rôle à l’autre. La « fille moto » chevauchée par l’enfant dépourvu de son costume de Neronga, constitue un savoureux pendant de la scène de la fille-cheval dans le Balcon. Cette maison des illusions et des jeux de pouvoirs prend, chez Rodrigo Garcia, un accent plus mélancolique. Dans Evel Kneviel contre Macbeth, le fantasme découle d’un imaginaire magnifié par l’enfance, dont le souvenir n’est peut-être pas exact, mais terreau idéal pour la fiction.

Jubilatoire jusque dans l’inénarrable battle finale pleine de tics et d’artifices, cette déconstruction méthodique de la tragédie excelle dans la possibilité d’aller au delà de la mimésis sociale. Elle consacre véritablement Rodrigo Garcia comme narrateur hors pair de l’absurdité du monde moderne et surtout, comme éternel mélancolique.



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