Papicha, pas frivole

Papicha, pas frivole

Papicha, réalisé par Mounia Meddour, porte un regard neuf et original sur la décennie noire qui ensanglante l’Algérie dans les années 1990. Dans ce long métrage, l’héroïne, Nedjma, vit avec ses amies dans une résidence universitaire, rêve de devenir styliste et souhaite organiser un défilé de mode dans son lieu de vie collectif. Mais une chape de plomb s’abat sur Alger et son monde étudiant.

Décennie noire

« Le film est librement inspiré de faits réels. J’ai vécu dans une cité universitaire à Alger dans les années 1990. C’était une micro-société avec de l’entraide et de la solidarité. A l’extérieur, il y a l’islamisme et la guerre civile », explique à cet égard Mounia Meddour lors de la projection presse.

En effet, face à l’intégrisme religieux, les femmes sont souvent les premières attaquées. Dans Papicha, elles refusent néanmoins de se soumettre à l’ordre moral et n’hésitent pas à protester. Le personnage principal de Nedjma incarne d’ailleurs une personnalité forte, indocile. Une volonté de la réalisatrice. « J’ai eu envie de rendre hommage à toutes les femmes algériennes qui résistent encore aujourd’hui dans la rue. J’ai eu envie de dresser le portrait de jeunes femmes qui luttent pour leur émancipation. C’est une histoire universelle. Beaucoup de femmes dans le public s’identifie à un personnage du film », confie Mounia Meddour.

Le récit s’inscrit dans une veine réaliste. Il s’inspire d’une période historique et tente de reproduire toute une ambiance. « Le documentaire est une très bonne école. J’essaie de capter l’humain et la réalité. Je voulais ce côté naturel, cette authenticité. Le documentaire permet de savoir où on veut aller et d’avoir un point de vue. Le film suit le point de vue de Nedjma », décrit Mounia Meddour.

Personnages féminins forts

La réalisatrice pointe aussi le conflit entre la mode qui valorise le corps des femmes et l’islamisme qui s’oppose à la beauté, aux rires, à la joie. Loin de son image frivole, cette mode devient outil de résistance. « Le monde extérieur représente la violence et la propagande pro-voile. Au contraire, la mode permet d’embellir le corps. Elle devient fédératrice dans la Cité universitaire et symbole de résistance », analyse Mounia Meddour.

Pourtant, le film refuse de porter un regard moraliste ou manichéen. Les personnages sont complexes et confrontés à des choix difficiles, où les femmes se révèlent particulièrement attachantes. « Les personnages sont complexes, tiraillés par des trahisons de leurs amis et de leurs idéaux. Ce n’est pas manichéen. Il y a une part sombre et positive chez tous les hommes et toutes les femmes. La maman a vécu la guerre d’indépendance et subit la guerre civile », décrit Mounia Meddour.

Réception en Algérie

La réalisatrice revient sur le cinéma algérien qui connaît une dynamique nouvelle. « Nous avons eu un financement de l’Algérie. On a tourné sur 5 semaines. Il y a peu de films réalisés en Algérie (environ 4 ou 5) », observe Mounia Meddour. Dans les rues d’Alger, les caméras ont attiré l’attention. D’autant plus que le sujet du film est peu évoqué. « On a croisé des gens pendant le tournage qui demandaient de quoi parlait le film. Cette thématique est restée une grande blessure. Il y a une curiosité pour comprendre cette période évacuée dans la mémoire », poursuit Mounia Meddour.

La cinéaste revient également sur le contexte social actuel. Un mouvement de révolte secouant le régime, dont les partisans invoquent le danger d’un retour de l’islamisme pour dissuader la jeunesse de descendre dans la rue. « Aujourd’hui, on n’est pas à la même période. Les jeunes se révoltent contre l’état actuel, l’économique et le social. Les jeunes sont assez matures pour ne pas retourner dans la décennie noire », tranche Mounia Meddour.

Si la sortie du film en Algérie a été annulée, les raisons de la censure sont encore inconnues aujourd’hui, alors que le film évoque une période sombre, mais ne s’enlise jamais dans le défaitisme.

«Papicha», de Mounia Meddour. Avec Lyna Khoudri, Shirine Boutella, Amira Hilda Douaouda… 1h45.



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