Phia Ménard : « Être artiste ce n’est pas seulement monter sur scène et faire sa belle »

Phia Ménard : « Être artiste ce n’est pas seulement monter sur scène et faire sa belle »

A l’origine, Maison mère, émane d’une commande de la Documenta 14 de Kassel où Phia Ménard répondait, à sa façon, au thème « Apprendre d’Athènes/Pour un parlement de corps. » Elle a choisi pour cela, d’ériger patiemment un Parthénon de carton, soumis à une pluie torrentielle, comme symbole d’un chaos contemporain.

Montrée à Montpellier Danse, la pièce bouleverse, par sa puissance scénique où l’intensité du solo tragique rencontre, comme toujours chez Phia Ménard, la prouesse technique. Rencontre avec l’artiste, engagée et prolixe, dans le cloître de l’Agora.

Dans Maison mère, je traite le politique par le symbole.

Dans Maison mère, tu construis, seule, un Parthénon de carton. Comment appréhendes-tu cette performance physique ?

C’est toujours physique, ça paraît très impressionnant, mais ce n’est pas une épreuve comme pouvait l’être PPP. Dans Maison mère, ça se joue d’un rapport presque psychologique, parce que c’est une pièce de la tension. Ce maintien de la tension donne la sensation d’une pièce très physique. Je ne lâche rien à cet endroit là. Il n’y a pas de fioritures, ce n’est pas fait pour plaire. Ce que je donne est juste là pour être utile.

Pas faite pour plaire, parce qu’elle revêt une esthétique punk ?

Parce que la gestuelle du corps, en elle-même, n’a pas d’importance. On pourrait jouer, à un jeu chorégraphique, mais ce n’est pas le propos. Maison mère est une pièce très politique. Quand j’écoute une conférence de presse, comme celle à laquelle je viens d’assister (NDLR : la conférence bilan du festival Montpellier Danse) et que j’entends un élu local, je me dis qu’il s’agit de l’art de noyer un sujet par les mots et des enchaînements d’idées qui conduisent à un fond de malaise. Dans Maison mère, je traite le politique par le symbole.

Cette construction méthodique et solitaire s’apparente à quel symbole ?

Symboliquement, les étais qui soutiennent la maison que je construis ne sont que des plugs. Ils ne permettent donc pas de soutenir la construction. Comme l’on met des étais à la maison Europe, j’ai choisi un pendant capable d’illustrer combien cette démarche est vaine. Les étais tombent, sur le plateau. L’effet n’est pas anodin.

Pourquoi choisis-tu le pouvoir destructeur de deux tonnes l’eau ? Quelle signification dans le choix de cet élément?

L’eau est bien le symbole de ce qui nettoie, mais aussi de l’érosion. Mais, elle représente aussi nos larmes. J’avais besoin d’assembler ce symbole lacrymal. C’est à ce moment, quand l’eau commence à se déverser, que je commence à vous regarder, dans le public, alors que je ne l’ai pas fait depuis le début de la pièce. Je me dis : « Est-ce que quelqu’un viendrait m’aider ? ». Ce regard signifie : « Qu’est-ce qu’on attend ? « .

Tu restes d’ailleurs, toi-même, assise, résignée, à côté du chaos…

Si tu regardes bien, toutes les positions que je prends existent, au quotidien. Tu les retrouves tous les jours, das la rue. Ce sont celles des gens qui mendient.

Ce sont ces positions statiques, que tu ramènes sur scène ?

Bien sûr, puisqu’elles demandent de l’aide. On constate la destruction. Vous la constatez, comme moi, mais ne faites rien. Est-ce que vous en tirez du plaisir, de la déception ? Si malgré tout, on en tire déception, qu’est-ce qui fait qu’on ne réagit pas ? Qu’est-ce qu’il manque ?

Cette position passive, dure longtemps, dans Maison mère…

Si j’intervenais seule, ou même avec une personne, ce serait une erreur. Ce serait tragi-comique. Alors qu’il s’agit d’une tragédie, que je n’ai pas envie de rire. C’est une vraie tragédie, marquée du sceau de l’impuissance. Le seul acte possible est celui de vous fixer, vous qui êtes sans nombre, vous qui pourriez venir m’aider à déplacer, vous qui pourriez venir sans que j’ai à demander. C’est bien ça, la question du nombre. Comment un nombre, peut rester ainsi, sans agir ?

Il s’agit de soumission ?

Oui. En tant que femme, je me suis intéressée à la soumission à ce monde patriarcal. Vu sous un autre angle, la pièce représente une femme qui construit la maison. La société fonctionne grâce aux femmes bâtisseuses. Nous femmes, avons le pouvoir le plus fort.

 

Aujourd’hui, la danse se complaît à ne pas être politique.

Mais l’on n’entend jamais la voix de cette femme, dont le foyer bâtie est annihilé dans Maison mère. Pourquoi la rendre mutique ?

Ce n’est que la première partie des Contes immoraux ! Pour l’instant, le Parthénon en carton est une ruine. Mais la suite va être tout autre… La seconde partie sera Temple, le père. La troisième et dernière partie, La rencontre interdite. Vous y verrez, sur les ruines de la maison mère, une tour de Babel.

Tu utilises les éléments scénographiques comme langage à part entière. Parce qu’ils peuvent surpasser les mots ?

C’est un véritable langage. Mais, je fais du théâtre, même si je suis programmée dans des festivals de danse. Aujourd’hui, la danse se complaît à ne pas être politique.

Donc, tu es une artiste du théâtre ?

Sans équivoque, je crée un théâtre. C’est un théâtre de matières, très politique. La danse a vraiment arrêté d’être politique. C’est mon problème. J’ai été sidérée récemment, par un CCN et la vacuité de son propos chorégraphique. J’ai demandé à l’équipe ce qu’ils faisaient, au juste. Ce ne sont plus des artistes qui en sont à la tête mais des sociétés de production. S’il s’agit de se préoccuper de combien de dates fera la prochaine création, quel intérêt ? Dans ce cas là, il faut arrêter la culture, il faut arrêter de financer. La légitimité d’un artiste repose sur sa façon de questionner le monde, par la qualité et la franchise de ses oeuvres. Non par la complaisance. Où sont les sujets de la danse ? Dans les années 80, la danse avait pris plus de place que le théâtre, en s’emparant de certains sujets. Mais ce n’est plus le cas, ça ne rend plus essentiel l’acte chorégraphique.

 

Nous sommes toujours sujet du regard.

Tu es une artiste révoltée…

J’assume mes prises de position. Il y a ceux que j’agacent, ceux que j’amusent. Je pense que je crée des formes dans laquelle les ellipses sont fortes et permettent à l’autre de s’emparer du sujet. C’est cette sincérité, presque intime, qui m’anime en art. Il faut sortir d’une complaisance et rentrer dans un espace du sentir. Être artiste ce n’est pas seulement monter sur scène et faire sa belle. C’est faire le travail, continuer à échanger.

Tu montres la fin d’un monde dans Maison mère. L’architecture antique comme contemporaine, a t-elle été façonnée par et pour les hommes ?

Certainement. Il faudrait faire un tour des villes, pour montrer à quel point rien n’a été pensé pour les femmes, dont on a surtout facilité le contrôle. Quand on se balade dans n’importe quelle ville, seule, on est sûre d’avoir une relation de regard, avec des hommes qui fixent, détaillent, dévisagent. Cette façon de faire, revient à dire à la femme, qu’elle n’est pas propriétaire de l’espace. C’est pour cela que je dis que l’espace patriarcal est un espace architectural. Nous sommes toujours sujet du regard. Nous nommes dans un panoptique permanent.

Toujours est-il, que le chaos déployé dans Maison mère fascine. A t-on besoin de ce rapport de soumission ? Ne sait-on vivre que dans ce rapport là ?

Il n’existe aucun rapport d’égalité dans la nature. Rien n’est moins démocratique que la nature. En revanche, la pensée nous fait dire qu’il n’y a aucune justification à la soumission.

 

Contes immoraux / Partie 1 – Maison Mère
Ecriture et dramaturgie : Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault



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