Aurélie Filippetti : « La Méditerranée est d’abord une vision politique et culturelle »

Aurélie Filippetti : « La Méditerranée est d’abord une vision politique et culturelle »

Ancienne députée et ministre, Aurélie Filippetti porte un véritablement attachement au 7ème art. Présidente du Cinémed depuis 2016, elle partage aussi la vision d’une Méditerranée façonnée par une géographie unique et des sociétés plurielles. De quoi développer une véritable réflexion sur une mer complexe, aux nuances multiples. Rencontre.

 

Quelle est la genèse de votre présidence au Cinémed?
Je présidais le FID à Marseille pendant 8 ans, jusqu’en 2012. Ensuite, quand j’ai quitté le Ministère de la Culture en 2012, j’avais plus de disponibilités. Philippe Saurel, avec qui j’avais déjà travaillé sur certains dossiers à Montpellier, tels que la Panacée, m’a proposé de rejoindre Cinemed. J’ai toujours été attentive à cette ville dont l’investissement culturel est remarquable en France et dont je connaissais la teneur.

Vous n’avez pas été rancunière après la crise des intermittents essuyée en 2014 et dont le foyer était à Montpellier, au Printemps des Comédiens…
Je savais que ça n’était pas dirigé contre moi, personnellement. J’avais bien conscience que cette prétendue réforme qui avait été faite à l’époque, posait des problèmes. Donc, il n’y a pas de rancune. C’était un réel problème, qui devait être résolu.

 

« Certains veulent nous imposer une opposition artificielle entre deux rives, nord et sud, de la Méditerranée »

 

Le Cinémed montre d’ailleurs le temps événementiel, mais aussi le temps géographique dans sa sélection de films. Comme Braudel, vous reconnaissez cette « part du milieu », ce temps long propre à la structure méditerranéenne?
Pour moi, la Méditerranée est d’abord une vision politique et culturelle. Ce n’est pas une frontière géographique. Et donc, c’est une civilisation qui repose beaucoup sur la culture. Déjà, au fondement de la démocratie grecque, il y a le rapport avec le théâtre. Dans la cité antique, il permet de régler les problèmes en les jouant sur une scène. Ce modèle là, ce lien entre démocratie et culture est à mon sens toujours aussi pertinent. La Méditerranée est un idéal.

Mais quelle influence du milieu, sur ce modèle politique?
On a plutôt une famille, une origine commune autour de ces civilisations de l’Antiquité, berceau quand même de notre mode de fonctionnement, sur le rapport à la famille. Il y a des questions qui se pose dans tout le pourtour du bassin méditerranéen. Certains veulent nous imposer une opposition artificielle entre deux rives, nord et sud, de la Méditerranée. Mais cette frontière n’existe pas. Il ne s’agit pas simplement de dire que l’on évolue autour de la même mer. On a vraiment des tensions et problèmes communs. Et on doit les résoudre ensemble. L’un des drames géopolitiques majeurs, est cette façon de vouloir creuser un fossé sous cette Méditerranée.

Vous parlez de qui?
Je pense à tous ceux qui formulent des discours ultra conservateurs, notamment au sein de l’extrême droite que l’on entend en France. Mais je pense aussi aux islamistes, tels qu’on les voit dans les films de Merzak Allouache. Je pense à tous ceux qui, en Egypte, en Tunisie, au Maroc, exercent une vraie pression sur des femmes qui n’ont de cesse de se battre. On doit être à leurs côtés parce que s’il y a des recul dans ces pays, ça rejaillit forcément ailleurs, sur les autres rives.

 

« On a l’impression d’être gouverné par des gens qui sont tous nés dans un rayon de 3km et qui n’ont jamais connu que ça »

 

Dans une France très jacobine, où tout se décide depuis Paris, peut-on véritablement comprendre cette Méditerranée?
Je n’ai pas l’impression qu’on veuille la comprendre. C’est à dire que la volonté très nette d’une capitale comme Paris, est quand même d’aller vers davantage de centralisation. Il y a eu autrefois un mouvement de décentralisation, mais on est aujourd’hui dans une logique inverse qui m’inquiète. J’estime que c’est vraiment au coeur des territoires que l’on peut faire la meilleure politique, pour ces territoires. Il y a une vrai méconnaissance de la réalité, de ce qui ce passe en région, assortie d’une vision condescendante, ignorante de la créativité et de la vitalité des territoires. Cette vision très normée efface toute la diversité, toute la richesse des territoires.

Votre position est très tranchée. Très forte…
Je suis une décentralisatrice et aujourd’hui on n’est pas du tout dans une logique qui me satisfait de ce point de vue là. On a l’impression d’être gouverné par des gens qui sont tous nés dans un rayon de 3km et qui n’ont jamais connu que ça, d’ailleurs.

On est bien loin de l’Europe des régions…
Plus personne n’en parle, en réalité. C’est très bizarre, alors même qu’on a porté la réforme territoriale en France, il y a deux ans, soit disant pour s’inscrire dans cette Europe des régions.  Mais ce redécoupage artificiel sans nouveau transfert de compétence au niveau financement, c’était pas très judicieux.

Faut-il être né en Méditerranée, comme Guédiguian ou Kechiche pour réaliser de l’art méditerranéen?
Non, ce n’est pas un droit du sang! Par exemple, les Géorgiens se révèlent et se vivent méditerranéens. C’est en ce sens que l’on peut revenir à la compréhension des cultures méditerranées via la culture, le climat, comme l’a analysé Braudel. Le patriarcat est aussi une notion très présente en Méditerranée, comme le montrent les films sélectionnés au Cinémed. Comment fait-on pour dépasser ce patriarcat? C’est une question que l’on se pose dans les semi-dictatures, mais aussi en France, quand l’on combat certains stéréotypes et certaines attitudes de certains hommes.

Qu’est-ce peut peut dire le cinéma de la société contemporaine?
Pour ma part, je l’ai découvert via un festival du cinéma italien, quand j’étais petite dans l’est de la France. Cela m’a permis de comprendre mes origines, car mes grands parents étaient antifascistes italiens. J’ai grandi dans les années 70, pendant cette époque très politisée et le cinéma me donnait des images, de reflets du monde. Le cinéma permet de découvrir les intérieurs d’un monde, par le mélange de l’intime et du social.

 

« La politique, ce n’est pas une carrière en soi. C’est quelque chose, une conscience, que l’on a chacun en nous.  »

 

La narration d’une fiction permet donc d’interroger le réel…
L’art a l’avantage, plus que la politique, de poser des questions et de mener une réflexion humble, plus complexe, plus subtile et nuancée. C’est la grande force de l’art.

La fiction n’isole t-elle pas de la réalité?
Pour moi, c’est de la vie augmentée. Il y a un véritable dialogue entre fiction et réalité.

Quand vous écrivez, vous vous mettez en retrait?
Je ne sais pas si je me mets en retrait. Quand j’étais ministre, je ne me sentais pas la liberté, ni la disponibilité pour écrire. Ce n’était pas une question de temps, mais de liberté intellectuelle. Je me sentais investie de la responsabilité qui m’était confiée, d’exercer un mandat et ça bloquait en moi cette possibilité d’auteur qui vit dans un imaginaire et le crée. Je viens de me remettre à l’écriture. Quand on écrit, il faut faire un peu passer sa vie derrière l’écriture. Cette création relève un peu de l’obsession. Alors finalement, oui, je me mets en retrait quand j’écris.

Vous êtes davantage femme de lettres ou femme politique?
La politique, ce n’est pas une carrière en soi. C’est quelque chose, une conscience, que l’on a chacun en nous. J’aurai toujours cet intérêt et cette passion pour la chose publique, politique. Mais au fond, l’écriture permet de travailler ces questions là par un autre biais.

 

 

 

 

 

 



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