120 battements par minutes et les années SIDA sur grand écran

120 battements par minutes et les années SIDA sur grand écran
Avec le film 120 battements par minute, Robin Campillo fait revivre le moment Act-Up. Le réalisateur a d’ailleurs vécu de près l’activisme intense d’Act-Up en 1992. Il en fait jaillir les émotions, les joies et les tristesse de cette lutte contre le Sida.

Radicalité politique

Dès la scène d’ouverture, le surgissement d’activistes interrompt une terne conférence scientifique. Ce sont des malades du Sida qui jaillissent pour devenir visibles et porter leur propre discours sur l’épidémie. Ils dénoncent l’Etat et les laboratoires pharmaceutiques qui laissent « creuver les pédés, les étrangers, les putes, les toxicos et les prisonniers ». Toute une population marginale dont le sort indiffère alors les pouvoirs publics.

Dans une réunion hebdomadaire d’Act Up, l’action d’interruption est décrite, analysée, décortiquée et critiquée. Les discours et les images se confondent. Sophie voit une action violente, avec le jet d’une poche de faux sang et un conférencier menotté. Pour elle, la brutalité de ces gestes ont discrédité le discours d’Act Up. Au contraire, Sean estime que l’action est un succès. En réalité, l’interruption du conférencier et le jet de peinture ont permis de briser la routine du discours contestataire.

Sean apparaît comme un jeune homme révolté. Il sait qu’il ne lui reste pas beaucoup de temps à vivre. « Il y a une injustice par rapport au vécu de la maladie », précise Robin Campillo en conférence de presse à Montpellier. Sean se place alors du côté des prisonniers et des personnes les plus marginalisées mourant dans l’indifférence. Des tensions politiques existent entre Sean, éternel enragé qui refuse la quête de respectabilité d’Act Up, et Thibault le président responsable avide de coup d’éclat médiatique. Cette différence s’explique par le vécu de la maladie, très variable d’un individu l’autre. Thibault a le temps et sait se montrer intraitable face aux patrons des labos qui bloquent l’avancée des recherches quand Sean est dans l’urgence, l’action et la révolte.

Histoire d’un mouvement de lutte

 Mais le film propose surtout un portrait de groupe. Act-Up relie la politique à la vie. Les actions de zap permettent d’entrer dans des labos, de distribuer des préservatifs dans les écoles, de jouer les pom pom girls à la gay pride ou d’interrompre une messe à Notre-Dame. Tout un activisme joyeux et visuel est ravivé. « On était doué pour le plaisir, pour aller en club, pour le sexe », rappelle Robin Campillo. Son film témoigne d’une époque et retrace une histoire méconnue. « Le film est un tas de souvenirs bout à bout et mis en perspective », décrit Robin Campillo. Le réalisateur tente de faire revivre ce passé contestataire pour qu’on puisse s’y référer aujourd’hui.

Act Up a permis de briser le silence et de troubler l’indifférence. « Cette épidémie on la pensait comme une chape de plomb, avec le silence », rappelle Robin Campillo, qui s’attache à dépeindre l’âme de l’association. La honte d’être malade s’ajoute à celle d’être homosexuel. Act Up permet de donner la parole aux malades face au Sida. « On avait la légitimité de dix ans d’épidémie, de vivre l’épidémie », précise Robin Campillo. Act Up produit des discours, des actions, des images pour permettre aux malades de reprendre le contrôle de leur vie.

Le film permet d’incarner enfin cette lutte contre le Sida. Loin des discours consensuels et pacifiés, les personnages vivent intensément  contre une société injuste. Le film joue sur les émotions, montre l’amour et la mort. Mais le public ressent également l’intensité des débats et le trac au moment des actions. La lutte pour la vie ne s’y réduit pas à la grisaille militante d’un documentaire austère mais devient un moment de vie et de plaisir. Pourtant, le succès médiatique du film apparaît surtout comme un embaumement et pas un cri de révolte. Dès lors, les années SIDA semblent appartenir au passé dans l’imaginaire collectif, quand l’épidémie poursuit encore ses ravages.



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