Une Chambre en Inde : Mnouchkine conjure le chaos

Une Chambre en Inde : Mnouchkine conjure le chaos

Le théâtre peut-il guérir le monde ? A minima, peut-il aider à surmonter la cruauté des heures les plus noires de notre société contemporaine ? C’est l’interrogation qui traverse Une Chambre en Inde, durant près de quatre heures, au théâtre Jean Claude Carrière dans le cadre du Printemps des Comédiens. Dans ce fantastique et courageux spectacle, Ariane Mnouchkine déroule une narration à tiroirs, d’où surgissent pléthore de personnages et d’évocations incroyables, depuis le décor unique de cette chambre exotique et infinie.

C’est là que Cornélia, dévouée assistante d’un certain Constantin Lear, directeur d’une compagnie de théâtre en résidence dans une ville indienne, apprend qu’elle va devoir monter le spectacle elle-même. Le metteur en scène est devenu fou en apprenant la nouvelle des attentats de Paris. Cornélia, hébergée chez Madame Sita, commence un long cheminement sur le bien fondé de l’entreprise théâtrale, sur le pouvoir de la fiction et ses écueils. Elle tente de trouver le repos, mais surgissent une légion de personnages, dont certains illustres. Ces fantômes entrent inopinément dans la chambre, laissant libre cours à leur imagination, sous les traits de Gandhi, Tchekhov, Shakespeare…

L’incroyable scénographie comptent de multiples trappes, fenêtres et portes battantes, par lesquels arrivent chaos et enchantement. Les méandres freudiens de Cornélia se matérialisent, au plateau, par l’enchevêtrement des voix et des images. Les dramaturges du temps passé regrettent de ne pas avoir davantage moqué les vils, les lâches. Alors Cornélia se met à imaginer une impossible succession de tableaux dans lesquels se mêlent terroristes de Daesh, femmes oppressées, guerriers légendaires…

Au beau milieu de cette cacophonie, une femme portant le niqab s’en débarrasse dans une scène formidablement absurde, pour, l’air de rien, voiler un homme. Plus tard, lors d’un épisode d’adieu, Karna, épouse et future veuve se bat la poitrine lorsque Pounourouvi s’en va à la guerre. Scène poignante de désespoir, où le mouvement trouve une gravité qui rend visible la condition des femmes, condamnées à attendre, regarder, subir, les décisions masculines, de part et d’autre du globe.

Il y a aussi ces situations ubuesques, parce qu’elles concourent toutes à repenser l’oppression en détricotant ses fondements. Mnouchkine marie les genres à l’envi, s’en donne à coeur joie. Elle emprunte considérablement au Theru Koothu, le théâtre populaire tamoul, dansé et chanté avec une ironie formidable face au tragique que peut contenir l’existence humaine. Dans une société où l’amour demeure souvent une affaire féminine et l’art de la destruction, l’apanage de l’homme, les effets lyriques et d’excès produisent un effet comique latent, capable de perdurer au delà de tout.

Le Theru Koothu interprété par des artistes occidentaux offre un décalage burlesque à Une Chambre en Inde, qui ne parvient pas à guérir la douleur humaine, mais à créer une parenthèse lyrique, atemporelle. Si parfois, la dramaturgie, pleine de candeur, s’appesantit sur des anecdotes digressives, il n’en demeure pas moins que la trentaine de comédiens du Théâtre du Soleil signe une prestation emplie de fraternité. Non sélectionné aux Molière, Une Chambre en Inde fait preuve d’une créativité et d’une maîtrise pourtant rarement vue sur scène. La pièce revigore les esprits les plus chagrins, à renfort d’une énergie à toute épreuve, même celle du chaos.

 



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