Une terre éphémère et lancinante en Abkhazie

Une terre éphémère et lancinante en Abkhazie

Après L’autre rive (2010) George Ovashvili livre cette fois un film d’impression magnifique, au parti pris audacieux dont le pitch pourrait sembler lapidaire : « Sur le fleuve Inguri, frontière naturelle entre la Géorgie et l’Abkhazie, des bandes de terres fertiles se créent et disparaissent au gré des saisons. Un vieil homme abkaze et sa petite fille cultivent du maïs sur une de ces îles éphémères. Le lien intense qui les lie à la nature est perturbé par les rondes des garde-frontières. » Mais jamais aucun archipel n’a autant subjugué.

 

 

Dès les premières minutes, on se laisse porter sur cette langue de terre par les clapotis de l’eau, à la belle saison. A l’écran, les rayons du soleil s’écrasent sur la peau, les gestes prennent une valeur incantatoire: choisir, creuser, bêcher, semer. Précis, méticuleux et hypnotiques, ils répondent à un souci humain, primaire, dénué d’ornements ou d’effets de style. Dans cet ordre des choses, l’acte prime sur la parole. Il y a bien les bruissements du vent dans les épis de maïs qui ont poussé, les grincements de la cabane de bois ou le ronronnement du hors-bord des gardes frontières, mais pas de dialogues perdus. Seulement quelques mots échangés. Quand c’est nécessaire.

Sur l’île, pas de nonchalance, mais une réelle distance vis à vis d’autrui. La proximité n’est ici qu’un concept vain, illustré par la méfiance du grand père à l’égard de quiconque s’aventure près de lui et sa petite-fille en pleine adolescence. Le lien se tisse davantage avec une terre littéralement nourricière, qui impose la temporalité aux êtres humains. Ovashvili capture avec pertinence cette nature filmée en 35mm, notamment dans de superbes plans séquences où le temps long se déploie à l’envi.

 

Mais, lorsque le temps se gâte, comment ne pas songer à l’hybris, notion de démesure ciselée au temps de la Grèce antique? Les bourrasques de vent, les vagues et le bois qui claquent ne font-ils pas écho au présage du vieil homme, conscient d’être occupant temporaire du fleuve, dès le début du long métrage?

A de maintes reprises, le choix de l’île apparaît comme un outrage à la nature. Par les gardes, qui le font remarquer au grand père, par les coups de feu hors champs, par la nature mouvante. L’hybris, ici, s’illustre comme volonté de rester coûte que coûte au beau milieu du fleuve Inguri séparant la Géorgie et l’Abkhazie. Ou s’agit-il d’une volonté de se soumettre à un ordre divin aussi capricieux que Gaïa, capable d’engendrer l’harmonie comme le chaos originel? C’est dans cette ascèse, ce renoncement sacrificiel que réside l’usante beauté de cette terre éphémère, perpétuellement renouvelée.

 

La Terre éphémère, en salle le 24 décembre 2014

Réalisé par George Ovashvili

Durée : 1h40min

Distributeur : Arizona Distribution



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